Nicole Garreau

Poétesse sans talent et dictateuse sans vergogne

  • n’a rien à dazibaoter parce que bizarrement elle se sent un peu moins à l’agonie ce matin, ce qui n’est pas une bonne nouvelle : ce n’est pas maintenant qu’elle touchait presque au but qu’elle a envie que la Mort s’éloigne. C’est d’ailleurs grave contre-productif car quand on se sent légèrement moins mal on se met à revivre dans la crainte d’aller de nouveau moins bien alors que lorsque l’on est au fond du fond du fond du trou on a beaucoup moins d’angoisse que cela empire.

    Faut-il impérativement être en phase terminale pour pouvoir écrire quelque chose ? C’est fort possible.

    Toujours est-il que même pour une vieille dictateuse omnisciente c’est rudement compliqué à gérer, tout ça.

  • ne veut pas dire, mais une demi-goutte de cannabidiol, allongée dans le noir complet, des écouteurs sur les oreilles et « Atom Heart Mother » dans le magnétophone, tout à coup elle ne pleurniche plus, elle peut de nouveau respirer, elle n’a presque plus mal nulle part et a cinquante ans de moins.

    Si par malheur elle est encore vivante demain elle se refera la même chose avec une cassette de Janis Joplin, de King Crimson ou de Led Zeppelin.

  • ne commente (presque) jamais cette chose un peu vulgaire nommée « actualité », vous le déplorez mais vous vous y êtes résigné·e·s, mais là quand même ça la fait trop marrer : dans une déclaration faite le 26 nivôse un tristement célèbre président de République bananière parle de « réarmement démographique », et le 8 ventôse suivant, soit à peine un mois et demi plus tard, le même sinistre individu veut envoyer les pioupious se faire castagner pour des intérêts économiques en Désunion Soviétique.

    Lol. Ça y est, ça commence enfin à être clair pour tout le monde, la vision de Société des macrono-lepenistes et lepeno-macronistes, ou toujours pas ?

  • le reconnaît, oui : elle se vautre un peu dans sa propre culpabilité comme une hippopotamette se roulerait dans la boue — dans l’espoir que ses remords finissent par former une sorte de couche protectrice sur sa peau.

  • est viscéralement kimilsungiste-kimjongiliste-kimjonguniste, vous le savez, alors forcément ses tentatives d’amorce de début de commencement de compréhension du monde sont davantage influencées par les visions scientifiques que par les approches théologiques — elle ne croit pas en Dieu (du moins en un dieu tel qu’il est présenté) et d’ailleurs ça semble assez réciproque.

    C’est cependant un des rares sujets sur lesquels elle s’est apaisée avec le temps : elle relativise, la vieillesse et l’imminence de la Mort ont arrondi les angles, elle ne bouffe plus systématiquement du cureton — toutes obédiences confondues —, elle ne fait plus de son athéisme une religion, elle n’est plus aussi certaine que Connaissance et spiritualité s’excluent ou soient antinomiques, et que même si elles l’étaient ce ne serait pas si grave. Et puis d’abord il faudrait se mettre d’accord, « de quoi Dieu est-il le nom » ?

    Bref, si elle ne parvient toujours pas à croire ça ne la gêne plus autant que d’autres le fassent. Et puis désormais en passant devant un calvaire ou une statuette de la Vierge (ce n’est pas ce qui manque dans son coin de cambrousse) plutôt que de lui faire un doigt d’honneur elle lui adresse un clin d’œil et un « Salut et sororité Camarade ».

    Elle est devenue rudement Sage, non ?

    #LaVieillesseEstUnNaufrage.

  • est trop fière, elle a réussi à faire deux choses concrètes aujourd’hui : sortir de chez elle et aller chercher un petit morceau de tofu au temple commercial (sans se perdre, sans se demander ce qu’elle fichait là, sans agresser personne et presque sans sangloter).

    À chaque jour suffit sa peine ! Si après ça il lui était resté suffisamment d’énergie pour passer un coup de balai dans la thébaïde, elle aurait eu l’impression d’accomplir les douze travaux d’Hercule.

    Dépressive, elle ? Ha ha, non, c’est bien pire : elle est lucide.

  • essaie d’éduquer l’algorithme zuckerbergien en « j’aimant » presque toutes les photographies de croquis-peintures-gravures que celui-ci lui présente, SAUF quand c’est du Gauguin parce que c’est moche et que le type était un c**, et quand c’est du Picasso parce que c’était un misogyne et un salaud (le fait d’avoir été doué et communiste n’est pas suffisant pour compenser).

    N’empêche, ça commence à porter ses fruits : désormais lorsqu’elle se connecte au site celui-ci lui propose davantage de Malevitch ou de Kandinsky que de petits chats mignons, comme quoi les programmes informatiques ont la comprenette moins difficile que les êtres humains.

  • reste en arrêt devant une photographie de chaunacops coloratus, une sorte de poiscaille des profondeurs avec une tronche à la Francis Heaulme et des petites nageoires ridicules que le bestiau semble poser volontiers sur le fond océanique et dans lesquelles on devine déjà sans peine les prémices de futures papattes.

    Encore quelques millions d’années et le truc sortira de la flotte pour inventer Facebook. Pauvre planète Terre ! La descendance de Sapiens Sapiens est déjà en route et elle n’a pas l’air beaucoup plus sympathique ou éveillée que nous.

  • n’a pas été en proie à la moindre idée morbide depuis au moins 0,7 seconde. En conséquence de quoi ça l’angoisse davantage encore : comment va-t-elle faire si elle ne peut plus compter là-dessus puisque même cet ultime repère fiche le camp ?

  • éprouvant des difficultés à lire des romans depuis plusieurs jours (« la vieillesse est un naufrage ») elle s’est rabattue sur un film comme une sale petite bourgeoise décadente et non seulement elle ne s’est pas endormie devant comme elle le supputait mais en plus elle a trouvé ça pas mal et a bien évidemment pleuré comme une madeleine presque tout du long.

    La bonne nouvelle est donc que certes, le cinématographe c’est moins bien que la Littérature, mais ce n’est pas très grave puisque chez les subclaquantes dépressives n’importe quoi finit par produire un résultat similaire.

  • adore le message d’avertissement sur l’étiquette de la bougie désodorisante : « Ne dispense pas d’adopter une bonne hygiène de vie ». Lol. Ça rappelle le « Retirer l’emballage avant de consommer » inscrit sur le carton des pizzas ou le « Sac réutilisable » sérigraphié sur les sacs en plastique — il ne faut pas surestimer Sapiens Sapiens, et c’est sûr que si ces choses n’étaient pas marquées personne n’y songerait jamais.

    Bon, en attendant dans la thébaïde ça schlingue un peu moins le rat crevé depuis que ce machin est allumé : ça tend à démontrer que même morts ces petits rongeurs savent lire et sont allés se laver.

  • se demande si en physiologie ou en psychiatrie ça porte un nom spécifique, ce curieux état de conscience d’Homo Empletticus, vous savez, quand tou·te·s ces petit·e·s-bourgeois·es surnourri·e·s se retrouvent à zoner dans un temple commercial, quand leurs regards ne se fixent sur personne, qu’iels se voient sans se regarder, quand iels déambulent tel·le·s des zombies entre le rayon des pizzas industrielles et celui des yaourts fluorescents, qu’iels ne semblent agir que par automatisme, que leurs visages n’expriment rien.

    On ne saurait bien sûr parler d’état « d’éveil » ou de « pleine conscience », loin s’en faut, pourtant ce n’est quand même pas tout à fait un sommeil ou un coma non plus — le cerveau ne fonctionne pas mais le corps bouge. La Garreau qui a toujours des références sur tous les sujets se souvient qu’il y a longtemps de cela elle avait rencontré une dame qui était restée bloquée sous acides, et elle se dit qu’au niveau des symptômes physiques visibles c’était ce qui se rapprochait le plus d’un·e client·e de magasin poussant son chariot empoisonné.

    En tout cas même pour les dix à douze minutes qui lui restent à vivre la vieille punkàchienne espère ne jamais faire partie de l’humanité : ce serait vraiment trop la honte.

  • ne sait pas pourquoi ces groupes d’étymologistes facebookien·ne·s s’enquiquinent à produire une nouvelle carte géographique à chaque fois — vous savez, les ceusses prennent un mot au hasard (« chèvre », « pantoufle », « anticonstitutionnellement »...) et sur une représentation du sous-continent européen iels s’amusent à colorier d’une même couleur les pays dans lesquels la traduction de ce terme est issue de la même racine. Or évidemment quel que soit le mot choisi la carte est toujours à peu près identique ! Vous avez d’un côté le bloc des pays latins qui parlent donc normalement (Portugal, Espagne, France, Italie et parfois Roumanie), d’un autre côté celui des pays barbares qui parlent germano-saxon (Allemagne, Pays-Bas, Angleterre et patin-couffin), d’un troisième côté celui des pays du bien-aimé Pacte de Varsovie qui ne parlent qu’avec des mots qui rapporteraient plus de trois cents points au Scrabble® (des Slaves, quoi), d’un quatrième côté les pays nordiques où de toute façon les gens ne parlent pas parce qu’ils ont les lèvres gercées, et puis disséminés au milieu de tout cela quelques petits patelins « non-alignés » qui parlent n’importe comment parce que là-bas les ceusses sont ivres du matin au soir et du soir au matin (Hongrie, Grèce, Albanie, Turquie, Finlande, pays de Galles ou pays Basque).

    Vous avez vu ça, un peu ? Dès que Mamie Nicole commence à expliquer, la linguistique devient un jeu d’enfants.

  • peut vous la résumer facilement, elle, l’Histoire culturelle de « l’Occident » (au sens large) : les Romain·e·s ont tout copié sur les Grec·que·s qui ont tout copié sur les Égyptien·ne·s qui ont tout copié sur les Sumérien·ne·s.

    La seule vraie rupture vient vers la fin du XXe avec l’avènement du capitalisme deux point zéro : là les ceusses ont directement tout copié sur les blaireaux.

  • l’aime bien, cette définition : « L’humour c’est la mise à mal de la verticalité du social » (© Laure Flandrin). Comme quoi et même si cela peut paraître étonnant il n’y a pas que sur ce flux SeenThis, que l’on dit des choses sensées ; ça arrive aussi PARFOIS sur France Culture, mais là-bas c’est évidemment plus accidentel.

    #MamieNicoleALaGrosseTête.

  • a accès à Internet en couleurs, oui — mais si ça ne tenait qu’à elle et si c’était moins cher elle se contenterait fort bien de ne l’avoir qu’en noir et blanc.

    De toute façon elle pense que la polychromie en photographie (ou en cinématographie) est une erreur : ce qui relève du domaine de la représentation doit impérativement se différencier le plus possible de la chose représentée — ne serait-ce que pour ne pas devenir zinzins. L’image se voulant fidèle est une simple mise en abyme n’ayant rien à nous apprendre ; à quoi bon copier ce que nous prenons pour « le réel » alors que nous pouvons le regarder ?

    Bref, si vous aimez la couleur dessinez, peignez, soyez abstrait·e·s, soyez impressionnistes, soyez expressionnistes, soyez cubistes, soyez dadas mais ne nous embêtez plus avec vos soirées diapos.

  • croit bien que ce coup-ci ça y est, un des moments qu’elle redoutait tant est arrivé : elle ne parvient plus à lire, vains dieux, ça fait trois jours qu’elle n’a pas réussi à terminer un seul roman — elle en a commencé cinq ou six mais à chaque fois après quelques dizaines de pages son esprit vagabonde, sautille de digression en digression, la ramène vers ses propres souvenirs frelatés.

    C’est ça le drame de la vieillesse : il n’existe plus rien, plus une seule histoire qui ne nous rappelle pas quelque chose, on a des références pour tout et n’importe quoi, le plus insignifiant détail fait écho, le magnétophone rembobine la bande pour un oui ou pour un non.

    Allez zou, abandon pour ce soir, elle va plutôt aller comater devant « Des Chiffes et des Blettes » ou « Questions pour une dondon ». Certes, ça aussi ça lui rappelle des trucs mais au moins il n’y a rien à comprendre.

    Hein ? Oui, quelle triste fin de vie.

  • ne vous permet pas, les météorologistes ! Comment ça, « une grosse dépression va frapper la France » ? D’abord la Garreau n’est pas grosse elle est euh... disons « flasque », et ensuite elle n’est pas dépressive elle est LUCIDE — certes ça ressemble mais ce n’est pas la même chose.

    Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’avec une dictateuse cruelle et sanguinaire comme elle aucun pays n’est à l’abri d’un bon coup de sac à main.

  • s’interroge beaucoup sur l’influence que put avoir le chaos sur les relations humaines.
    — …
    — Oui, en gros elle se demande ce que fit l’entropie de la philanthropie. »

    Zyva, quelle journée ! Deux dazibaos désopilants coup sur coup ! Vous avez rudement bien fait de vous abonner, cher Lectorat.

  • veut bien, elle, elle veut bien pour la double-raison qu’elle n’est pas contrariante et qu’au fond d’elle-même elle s’en fiche, mais tout de même l’affaire lui semble chelou. Pardon ? Oui, bon, d’accord, puisque vous insistez elle cède et elle raconte.

    Alors voilà : elle lit dans la feuille de chou locale que la nuit dernière (ou celle d’avant, elle s’y perd un peu dans leur fichu calendrier grégorien) les pompelard·e·s, les milices du Capital et tout le toutim ont dû intervenir À QUATRE HEURES DU MATIN parce qu’au chef-lieu de canton un ceusse s’apprêtait à se suicider en se jetant d’une grue de chantier. Bon. Déjà nous serons certainement d’accord pour dire que quand un individu trouve enfin la lucidité, la force, le courage et le moyen d’en finir ce n’est tout de même pas très fair-play d’aller lui mettre des bâtons dans les roues, mais ce n’est pas le sujet. Non, ce qui turlupine la vieille Garreau c’est « Comment pouvaient-iels savoir qu’il y avait un type en haut de la grue ? » Il y a quelque part et « au cas-z-où » une ouvrière ou un ouvrier du chantier déguisé·e en parpaing et qui, muni·e d’une paire de jumelles, est payé·e pour surveiller toutes les nuits que personne ne se jette du haut d’un engin ? Ou alors une fois arrivé au sommet le ceusse s’est mis à miauler comme un chat coincé dans un arbre ? Mystère et boule de gomme.

    Certes, reste bien sûr la possibilité que le site soit truffé de systèmes d’alarmes et de caméras et que ce soit ça qui ait réveillé tout le secteur ; si c’est le cas vous ne lui ôterez pas de l’idée que c’est bien la chose la plus triste du monde qu’en sus de nous empêcher de vivre la technologie nous empêche aussi de crever tranquille.

    #HuitMilliardsDeZinzins.