CQFD

Mensuel de critique et d’expérimentations sociales

  • LES MAMIES ET PAPIS JOURNALISTES FONT DE LA RESISTANCE

    Quand Europe 1 a annoncé le remplacement de Jean-Pierre Elkabbach par Fabien Namias, on a pu croire un moment que la #radio périphérique allait donner un coup de jeune à sa grille.
    L’espoir a été de courte durée. Le 2 janvier, la radio d’Arnaud Lagardère annonçait avec des trémolos dans le communiqué : « Europe 1 attaque fort la nouvelle année ».
    Et d’annoncer que si Jean-Pierre Elkabbach (79 ans, quand même) disparaissait de la grille, le « Débat des grandes voix » (de 17 à 18h) conservait ses grandes signatures telles que Catherine Nay (74 ans), Michèle Cotta (79 ans), Charles Villeneuve (75 ans), Gérard Carreyrou (74 ans), Robert Namias (72 ans), Daniel Cohn-Bendit (71 ans), etc.
    Les septuagénaires ont de l’avenir chez #Lagardère, contrairement à l’ensemble des rédactions où les plus de 55 ans sont très souvent sacrifiés.
    Il serait étonnant que ces mamies et papis du #journalisme soutiennent les revendications d’une retraite à 60 ans. Ouf, Fillon, Valls et consorts sont rassurés, ce n’est pas sur Europe 1 qu’on pourfendra leur programme.
    Quant à Jean-Pierre Elkabbach, il ne disparaîtra pas puisqu’il serait en négociation avec les chaînes de #Bolloré.
    Chez Bolloré aussi, on fait plutôt confiance aux vieux routiers de l’information pour ne pas risquer de dérapages, comme l’apologie de l’indépendance des rédactions (comme à iTélé), la revalorisation du SMIC, l’interdiction des licenciements boursiers ou les dénonciations des affaires de certains dirigeants en Afrique.
    Bref, l’ordre règne sur les ondes. Le néolibéralisme est bien gardé.
    Le #SNJ-CGT, lui, sera aux côtés des nombreux jeunes (et moins jeunes !) #journalistes_précaires, #pigistes mal payés, corvéables à merci, dédiés aux tâches obscures qui ne partiront pas à la retraite dans les mêmes conditions que les « grandes voix », royalement rémunérées, qui dissertent à longueur d’antenne pour déverser la doxa bien-pensante.
    Pour le SNJ-CGT, il y a encore des « bastilles » à prendre. Dans les rédactions aussi.

    Montreuil, le mercredi 4 janvier 2017
    source : http://www.snjcgt.fr/_front/Pages/article.php?cat=1&item=1&page=1&art=757
    http://www.acrimed.org/Les-mamies-et-papis-journalistes-font-de-la

    Journalistes précaires, journalistes au quotidien


    http://agone.org/elements/journalistesprecairesjournalistesauquotidien
    #Alain_Accardo #Agone
    http://cequilfautdetruire.org/spip.php?article840
    #Olivier_Cyran #CQFD

    • A mon avis, les ""journalistes"" de télé (et de ceux des grandes radios) sont recrutés par copinage pour leur absence totale de rigueur intellectuelle et leur capacité à lécher le cul de tous les pouvoirs.

      Aucune raison donc de les renouveler quand ils vieillissent.

    • Jean-Pierre Elkabbach, serviteur de deux maîtres ?
      Conseiller de #Lagardère et de #Bolloré : l’intersyndicale de Lagardère Active proteste.

      Léa Salamé ne nous avait pas habitués à dénoncer la violence patronale qui s’exerce contre les salariés, notamment lorsqu’ils sont brutalement licenciés. C’est chose faite. Dans l’émission « C à vous » du 21 décembre 2016, ne mâchant pas ses mots, elle a jugé « très violente » l’éviction de… #Jean-Pierre_Elkabbach, écarté quelques jours auparavant de la « Matinale » d’Europe 1. Depuis peu, nous sommes rassurés : le séjour de l’intervieweur-vedette au Pôle emploi de l’éditocratie aura été de courte durée. Il avait déjà obtenu un temps partiel. Un temps plein lui est désormais assuré, et même un triple emploi.

      Alors qu’une interview hebdomadaire devait être confiée à Jean-Pierre Elkabbach sur #Europe_1, il a ainsi décidé de rejoindre #i-Télé, future CNews – où la violence patronale qui émeut tant Léa Salamé a provoqué le départ de plus des deux tiers des effectifs.

      Par la même occasion, il a été nommé conseiller du groupe de Bolloré pour son développement, comme l’a officialisé le 11 janvier, sur Twitter, le groupe Canal+ :


      http://www.acrimed.org/Jean-Pierre-Elkabbach-serviteur-de-deux-maitres

  • Jaroslav Hašek

    Vie et œuvre d’un anarchiste alcoolique

    Par Ian Bone

    Traduit par Émilien Bernard
    Article original de la revue anglaise Strike !

    http://jefklak.org/?p=3501

    Qui n’a pas lu Jaroslav Hašek (1883-1923) est un sagouin. C’est ainsi. Pas de discussion. D’autant que l’écrivain pragois a eu l’élégance de laisser une œuvre de taille modeste, essentiellement couchée dans Le brave soldat Chvéïk et ses déclinaisons ( Nouvelles aventures du soldat Chvéïk et Dernières aventures du soldat Chvéïk ). L’affaire de quelques heures delecture. Lâchez donc vos écrans et filez fraterniser avec ce bon Chvéïk. En guise d’apéritif, voici un joyeux éloge au fondateur du « Parti pour un progrès modéré dans les limites de la loi ».

  • Du blues au dancehall : musiques en résistance
    Propos recueillis par Mathieu Léonard
    paru dans CQFD n°150 (janvier 2017).
    http://cqfd-journal.org/Du-blues-au-dancehall-musiques-en

    En 1956, Franz Fanon évoque brièvement le blues dans sa conférence « Racisme et culture » : « Sans oppression et sans racisme pas de blues. La fin du racisme sonnerait le glas de la grande musique noire… » Que pensez-vous de cette affirmation ?
    Sans esclavage, sans racisme, sans souffrance, pas de blues et pas de musiques noires en général. Toutes ces musiques sont apparues comme des exutoires à la captivité et aux sévices dont étaient victimes ces Africains déportés. Ces musiques permettaient aux esclaves et descendants d’esclaves d’échapper à la misère de leur quotidien. La souffrance est donc effectivement l’essence même du blues et de toutes ces musiques issues des Amériques créées, il faut bien l’avouer, de manière complètement imprévisible. Car qui aurait pu prévoir qu’en quelques décennies seulement, ces populations noires réduites à l’état de bêtes, traquées, violées, pendues et brûlées vives pendant des siècles allaient créer des musiques joyeuses, dansantes, pertinentes, engagées, spirituelles, nouvelles, transcendantales et universelles comme le blues, le jazz ou le reggae, devenus finalement patrimoine mondial ? Le titre du livre Musiques noires : l’histoire d’une résistance sonore, n’a d’ailleurs rien d’anodin, car le dénominateur commun de toutes ces musiques est la résistance, ce refus de capituler même enchaîné.

    #Musiques_Noires #Résistance

  • Punk, Pop, & Glycon : Voyage dans les mondes extraordinaires d’Alan Moore
    http://jefklak.org/?p=3477

    Écrivain de comics célèbre pour ses scénarios virtuoses qui mettent en scène la violence du pouvoir de l’État, ainsi que celle des super-héros, Alan Moore se déclare anarchiste, mais également adepte de la magie, qu’il pratique – et qu’il vulgarise dans nombre de ses histoires. Ainsi La Ligue des gentlemen extraordinaires, fresque séculaire qu’il a initiée il y a désormais quinze ans, met en abyme les mythes individualistes et scientistes de l’époque victorienne à nos jours ; l’occasion aussi pour Moore d’approfondir son exploration des mondes magiques.

    Par Bruno Thomé Illustré par Anne-Claire Hello

    #Alan_Moore #comics #magie

  • Belsunce breakdown
    par Christophe Goby
    De l’autre côté du papier...
    http://cqfd-journal.org/Belsunce-breakdown

    Un soir de novembre, il y eut un miracle. La rencontre entre un musicien, un collectionneur de 45 tours et un animateur radio, une soirée comme à la Casbah d’Alger ou à Marseille dans les années 30, entre des gens qui se racontaient des histoires. Des histoires d’exil.

    #Belsunce #Marseille #Chaâbi #Phocéephone

  • Bolivie
    Révoltées du logis

    paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)

    par Mathilde Blézat

    http://cqfd-journal.org/Revoltees-du-logis

    Histoire lacunaire des luttes des travailleuses domestiques en Bolivie.
    Des syndicats de base aux ondes radiophoniques.

    Il est un pays où les travailleuses domestiques ont la lutte particulièrement affûtée : la Bolivie. Estimées à 137 000 (17% de la main-d’œuvre féminine du pays) en 2001, ces femmes – en très large majorité des Amérindiennes qui ont migré des campagnes vers les villes – s’organisent depuis belle lurette en syndicats de base. Forme de syndicalisme autonome irrigué d’idées anarchistes, un syndicat de base s’organise autour d’une profession et non au sein d’une entreprise, dans des secteurs où les employé.e.s sont particulièrement isolé.e.s (restauration, nettoyage, emplois à domicile). Les décisions y sont prises en assemblées, souvent au consensus.

  • « Brûlez-moi et je peux chanter »
    par Bruno Le Dantec,
    illustré par Kamar Idir
    paru dans CQFD n°149 (décembre 2016).
    http://cqfd-journal.org/Brulez-moi-et-je-peux-chanter

    Kamar est photographe – et infatigable reporter à radio Galère. Il travaille ses portraits à l’ancienne, argentique et longueur de temps : « Souvent, j’oubliais mon appareil dans le sac. Je passais des journées entières à jouer avec les enfants, à blaguer avec les vieux… À la fin, c’était eux qui me demandaient de leur tirer le portrait. » Certains n’ont jamais voulu être pris en photo. D’autres posaient comme condition qu’elles ne sortent pas du cercle familial. Au bidonville de La Parette, « les dames rroms faisaient le bisou à la Préfette à l’égalité des chances lors de ses visites », se marre Dom. Kamar se souvient de cette fonctionnaire plutôt humaine : « J’étais en train de construire une cabane à l’entrée du camp pour y développer des activités d’art plastique avec les minots, quand la préfette se pointe et me houspille : “Monsieur, c’est la dernière maison que vous construisez ici, d’accord ?” Elle m’avait pris pour l’un d’entre eux. »

    Kamar Idir est arrivé d’Algérie en 1994, réfugié du conflit entre barbus et képis. « J’ai rencontré des Rroms de Yougoslavie, et entre personnes qui ont fui une guerre, on s’est compris. Quand je montre des photos de ma mère et ma grand-mère, avec leurs foulards kabyles et leurs pieds nus dans la poussière, les Rroms s’exclament “c’est comme nous !”. Et après que j’ai eu passé des après-midis à jouer au foot avec leurs gosses, ils m’ont posé un chapeau sur la tête. “Kamaro, tu es des nôtres”. » Il est heureux de cette relation : « J’aimerais aller les photographier chez eux. » En Roumanie. « Ils adorent leur pays, la maison qu’ils ont laissée là-bas et qu’ils ont dû quitter faute de travail, témoigne Dom. Ils disent que là-bas il fallait souvent choisir entre manger et se chauffer… » Comme dit Dorin Moldovan : « À quoi sert une maison, s’il n’y a plus personne autour de ta table ? »

    « Être tsigane, c’est notre langue et l’amour qui monte dans ton cœur quand on est réunis et qu’on fait la fête », balance Rezvan, quinze ans. Son père, Dorin, affirme qu’il est psychologiquement fragile, qu’il aurait besoin d’un pope pour le délivrer du mauvais œil. Question mauvais œil, Rezvan a peut-être une explication : « Ici, je ne veux pas dire qui je suis réellement, car je serai tout de suite rejeté. »

  • Retour sur un « cessez-le-feu »

    Les braises de la révolution

    paru dans CQFD n°142 (avril 2016), par Oum Ziad, Richard Schwartz

    Le 12 février 2016, les manifestations se multipliaient en Syrie. Le peuple se battait encore. Entretien avec Leila Al-Shami, bloggeuse anarchiste, impliquée dans les réseaux de résistance populaire syriens, et co-auteure, avec Robin Yassin-Kassab de Burning Country : Syrians in war and Revolution .

    http://cqfd-journal.org/Les-braises-de-la-revolution

    Dans ce contexte de guerre et de siège et malgré la famine et les bombardements, comment s’organise ce mouvement de rébellion civile dans ces « zones libérées » ?
    Quand nous parlons de « zones libérées », c’est un peu plus que de la simple rhétorique. Dans Alep, par exemple, les différents conseils locaux continuent d’assurer les services publics et vitaux pour la population locale, ainsi que l’auto-administration de chaque territoire en l’absence de l’État. Je parle de plus de 100 organisations de la société civile, la seconde plus importante concentration de groupes civils actifs du pays. Cela comprend quelque 28 associations de médias libres, des organisations de femmes, d’urgence sanitaire et de soins. Cela inclut également des organisations éducatives, telle Kesh Malek, qui dispensent un enseignement non idéologique aux enfants, et dont les locaux sont souvent installés dans des sous-sols par crainte des bombardements. Sous le règne totalitaire d’Assad, la société civile était inexistante, et aucun média indépendant n’était toléré. Dans la démocratie d’Alep libérée, ces pratiques se sont développées à mesure que les gens ont commencé à s’auto-organiser, puis à auto-administrer leurs communautés. Cela représente, selon moi, les objectifs originels du mouvement révolutionnaire.

  • « Les femmes ont pour injonction de ne pas prendre trop de place » | jef klak

    http://jefklak.org/?p=3373

    Ne ratez pas ce super entretien où @mona raconte un peu de chez soi et un peu de beauté fatale. Comme d’hab très bien. On s’y retrouve parfois dans certains portraits

    Je cite l’exemple d’une ouvrière qui a l’impression que les chefs font exprès de fractionner son temps de congé et de loisir, de sorte qu’elle n’a jamais plusieurs jours de repos d’affilée. Dès lors, le peu de temps passé à la maison ne peut être que consacré à faire les vitres ou aux lessives en retard. C’est une course permanente qui ne laisse jamais de vrai temps à soi. J’ai lu dernièrement le témoignage d’une esthéticienne qui louait son appartement pour n’y passer que son temps de sommeil, tellement ses amplitudes horaires de travail étaient grandes. Comment développer un lien avec le lieu où l’on vit dans de telles conditions ?

    Cela dit, penser le foyer comme émancipateur semble aussi difficile pour les classes moyennes ou supérieures. Dans pas mal de foyers riches, la maison n’est pas vraiment habitée.

    • Oui merci @mona

      En tant que femme, on est toujours encouragée à se demander comment on est perçue, de quoi on a l’air, si on est désirée ou pas, et pas tellement ce qu’on désire soi-même, ce qu’on pense, comment on juge les autres… Ce déséquilibre-là est ravageur, il nous fragilise terriblement. On se laisse ballotter au gré du regard et du jugement des autres au lieu de se demander de quoi on a envie et de s’affirmer en tant que sujet. L’enjeu derrière la beauté est là : dans le déséquilibre entre la dimension d’objet et la dimension de sujet. Ce déséquilibre est évident dans la culture et dans l’art. Aux États-Unis, le groupe d’artistes féministes Guérilla Girls dénonce le sexisme à l’œuvre dans les musées en montrant le décalage entre la faible représentation de femmes artistes exposantes et à l’inverse la surreprésentation de femmes nues exposées. Les femmes ne sont pas incitées à développer leur vision du monde et à s’affirmer ou à développer leur personnalité, mais à se constituer comme des objets d’agrément, un peu décoratifs.

      #male_gaze

      Les garçons sont aussi élevés pour se conformer à un modèle, mais c’est un modèle de force – et ils souffrent quand ils ne correspondent pas à ce critère (lorsqu’ils sont chétifs ou vulnérables, par exemple). Ce qu’on apprend aux filles, c’est à être en position de faiblesse.

    • Merci beaucoup à vous !

      Je regrette un peu de ne pas avoir précisé un truc, à propos de l’idée que dénoncer les normes reviendrait à exercer soi-même une tyrannie : c’est que ces normes, en plus d’être beaucoup plus puissantes que nos critiques, ne sont pas innocentes, elles ne sont pas choisies arbitrairement ("tiens, on va dire que c’est bien d’être maigre, plutôt que de dire que c’est bien d’être grosse"). Il y a le plus souvent beaucoup de violence et de haine derrière elles. Les seins siliconés, c’est l’idée qu’on doit se façonner en fonction du regard masculin (ou de ce qu’on en imagine), faire passer l’image qu’on donne avant ce qu’on ressent (perte de la sensibilité des tétons), souffrir dans sa chair pour être jugée belle et digne d’être aimée. La minceur, c’est l’injonction à disparaître. Je suis sidérée quand la dénonciation de la maigreur imposée est assimilée à du « body shaming » (ce que j’entends de plus en plus souvent), je trouve ça désespérant. Il y a un refus d’analyse qui se fait passer pour de l’orthodoxie féministe. Ça ne veut évidemment pas dire que les femmes minces, ou maigres, ou anorexiques, sont complices de cette oppression (quelle horreur), mais si on s’interdit de dénoncer ce modèle, on est mal barrées.

  • Trois questions à Fight for 15$
    par Judith Chouraqui,
    paru dans CQFD n°149 (décembre 2016).
    http://cqfd-journal.org/Trois-questions-a-Fight-for-15

    Comment la grève de 2012 dans la restauration rapide est-elle devenue une campagne nationale ?
    Quand 200 travailleurs de la restauration rapide ont cessé le travail pour demander un salaire minimum de 15 dollars par heure et le droit de se syndiquer, personne n’y croyait. Mais ils se sont appuyés sur une colère profonde contre une économie qui accroît les inégalités sociales et ne profite qu’aux plus riches. Au début du mouvement, j’ai rencontré des travailleurs qui avaient été licenciés pour toutes sortes de motifs – avoir mangé un nugget de poulet sur le lieu de travail ou bu un grand verre d’eau plutôt qu’un petit.
    Les grèves se sont multipliées, de Chicago à Detroit en passant par Milwaukee et Kansas City. Rapidement, les travailleurs de plus de 100 villes ont uni leurs forces et le mouvement s’est rapidement étendu à l’ensemble du secteur des services, la revendication ayant trouvé un écho chez les employés des services à la personne et de l’éducation, les salariés des aéroports, etc. Avec l’aide de l’Union internationale des employés des services (SEIU) et d’autres partenaires, les travailleurs en lutte ont obtenu des augmentations pour 22 millions de salariés. La lutte s’est aussi internationalisée, avec des partenaires syndicaux européens notamment, pour mettre les compagnies transnationales comme Mac Donald’s devant leurs responsabilités.

  • « Partir du petit bout de la lutte »
    Entretien avec Julie, membre de ReAct-Paris

    par Alexane Brochard & Ferdinand Cazalis, illustré par Benoit Guillaume
    paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)
    http://cqfd-journal.org/Partir-du-petit-bout-de-la-lutte

    Qu’est-ce que le ReAct ?
    C’est une petite association qui s’est créée à Grenoble en 2011 autour de quelques militants, avec l’idée que beaucoup d’injustices sociales et environnementales reposent sur le pouvoir excessif et croissant des multinationales. D’où l’envie d’un réseau transnational d’intervention, en développant des réseaux militants en vue d’actions directes coordonnées contre des multinationales ciblées. L’association s’est alors mise en route autour d’un projet en particulier : une rencontre en 2011 avec des paysans camerounais qui se sont fait voler leur terre par les entreprises de Bolloré, très implantées sur le continent africain. Ils étaient complètement démunis face à une entreprise basée en France, mais qui a ses plantations d’huile de palme au Cameroun. Le travail du ReAct a été alors de mettre en lien les riverains camerounais de Bolloré avec ceux du Libéria, de Sierra Leone, ou du Cambodge, victimes des mêmes exactions.
    En 2013-14, en même temps que des actions coordonnées dans plusieurs pays, des membres des diasporas camerounaises, ivoiriennes, cambodgiennes vivant en France se sont invités à la tour Bolloré, le jour de l’AG du groupe. Munis de bêches, de râteaux, de pioches, ils ont jardiné la pelouse en disant : « On n’a plus de terres disponibles dans notre pays, alors on vient planter le manioc sur votre pelouse, M. Bolloré. » Au même moment, ils étaient des centaines à occuper les terres et bloquer les usines au Cameroun, au Liberia, au Cambodge et en Côte d’Ivoire. Vincent Bolloré a finalement accepté une négociation internationale avec des représentants de chaque pays en novembre 2014. Des engagements ont été pris, les avancées sur le terrain sont notables (rétrocession de parcelles, compensations pour les terres accaparées, arrêt des pollutions des eaux), mais la lutte est encore loin d’être gagnée et les actions se sont multipliées en 2015-16 pour pousser la multinationale à aller plus loin.
    Dans notre jargon, les militants du ReAct ne sont pas les « leaders » de la mobilisation, mais les « organisateurs ». La différence est importante. Les organisateurs ne portent pas la colère : ils sont plus distants de l’objet de la lutte, ont le temps de faire ce travail d’organisation, et sont parfois payés comme permanents. Les leaders, eux, subissent la domination. Ils vont partir de leur colère pour construire leurs revendications, avec toutes les personnes concernées et prêtes à s’engager.

    #Community_Organizing #React #Organisation

  • Quand les cognes en prennent pour leur grade
    par Emilien Bernard
    paru dans CQFD n°149 (décembre 2016)
    http://cqfd-journal.org/Quand-les-cognes-en-prennent-pour

    Pour l’heure, le verdict n’est pas tombé. Il ne sera connu que le 16 décembre. Les trois cow-boys – Patrice Le Gall, Mickaël Gallet et Julien Vanderbergh –, qui ont sévi le 8 juillet 2009 écoperont peut-être d’une peine correspondant aux réquisitions du procureur : prison avec sursis assortie d’une radiation professionnelle et d’une d’interdiction de port d’arme. Il se peut également qu’ils soient relaxés, comme l’a réclamé l’effrayant avocat Franck Liénard, soudard des prétoires pathologiquement obsédé par la notion d’ordre [1]. Difficile de savoir si « justice » sera faite. Ou si l’impunité policière (celle qui selon Irène Terrel, avocate des parties civiles, « fabrique des monstres »), sera encore une fois de mise.

    Peu importe, au fond. Car l’essentiel est ailleurs. Pendant ces cinq jours de procès au Tribunal correctionnel de Bobigny, la donne s’est inversée : pour une fois, les victimes de violences policières ont pu donner leur version. Longuement. En détail. Et les flics – accusés comme soutiens – ont dû faire profil bas tandis qu’ils se voyaient signifier le mépris que leurs méthodes inspirent – à Montreuil comme ailleurs. Un grand bol d’air. Surtout après sept longues années d’attente.

    #Montreuil #FlashBall #Proces_Police #ACAB #8_Juillet

    • Si ces cinq jours ont marqué une étape symbolique dans la lutte contre les violences policières, cela reste un embryon, un cas à part. « Aujourd’hui, vous jugez une affaire, s’emporte Farid El Yamni, mais combien sont enterrées ? Combien de vies brisées ? De gens qui deviennent fous ? »

      Jeudi 24 novembre, au sortir de l’audience, Ali Alexis prononce un court discours sur le parvis du tribunal. Lui a été éborgné par un tir de flash-ball en 1999, alors qu’il revenait du supermarché, sachets de course à la main. Cela fait dix-sept ans qu’il essaye de porter son cas devant la justice, en pure perte. Il a pourtant tous les documents nécessaires, dit-il d’une voix triste, avant de sortir des dizaines de photocopies d’une pochette fatiguée. « Je n’ai jamais pu avoir de vraie confrontation avec la police, se lamente-t-il. Ils refusent de prendre en compte ce que j’ai subi, ont classé ma plainte sans suite. » Une pause. « Je ne comprends pas pourquoi ils visent toujours les yeux. »

  • Marseille : Occupy la psychiatrie
    par Emilien Bernard,
    paru dans CQFD n°148 (novembre 2016).
    http://cqfd-journal.org/Marseille-Occupy-la-psychiatrie

    Babel en la Cité
    S’il est logé ici, Marcel, c’est qu’il en a bavé, abonné aux galères. Surtout, il souffre de troubles psychiatriques lourds, « débloquerait » probablement sans ses médocs. Il n’est pas le seul. Au 3 rue Socrate, beaucoup sont dans le même cas, chacun chargé de son histoire. Il y a des solitaires comme Marcel, ou bien François, musicien affable tout juste sorti de la rue et qu’accompagne invariablement une vieille chienne au regard triste. Il y a ces deux jeunes touchants que les autres surnomment « Tartine » et « Beurre », pour des raisons mystérieuses. Il y a le très costaud Éric aux bras couturés de cicatrices et sa jeune femme, enceinte de quelques mois. Et puis il y a les familles qui malgré la précarité élèvent leurs enfants du mieux qu’elle peuvent – tous sont scolarisés. Au fil des étages, il y a des Albanais, des Serbes, des Algériens. Babel and co .

  • Les murs de la mer
    par Maël Galisson,
    paru dans CQFD n°148 (novembre 2016)
    http://cqfd-journal.org/Les-murs-de-la-mer

    Moins exposé médiatiquement que les routes migratoires de Méditerranée centrale ou de mer Égée, le détroit de Gibraltar est resté un lieu de passage où les soldats marocains jouent le rôle de supplétifs des politiques européennes. Les voyageurs sans visa y vivent de longues périodes d’attente, de violence et de misère. Reportage à Tanger, Ceuta et Melilla.

    #Ceuta, #Melilla, #Tanger, #Routes_Migratoires, #Forteresse_Europe

  • « La police tire au flash-ball pour punir et terroriser »

    Histoire en cinq actes du procès des forces de l’ordre
    Montreuil : 8 juillet 2009 – 21 novembre 2016

    Propos recueillis par Ferdinand Cazalis
    Avec le concours de Claire Feasson et Alexane Brochard

    http://jefklak.org/?p=3336

    Le 8 juillet 2009, à Montreuil (93), ville en pleine gentrification où perdurent des pratiques de solidarité (notamment avec les sans-papiers), les forces armées de la police expulsent au petit matin « la Clinique », un immeuble occupé en plein centre, qui accueille des activités collectives ouvertes sur la ville.

    Le soir-même, des habitant.e.s et personnes solidaires descendent dans la rue pour dénoncer publiquement cette expulsion. Ils organisent un repas de rue qui se termine en déambulation jusqu’au bâtiment expulsé. La police réprime sauvagement ce sursaut de résistance en tirant au flash-ball dans la foule. Des tirs au-dessus des épaules, contrairement à l’obligation légale censée encadrer l’utilisation de cette arme. Bilan : six blessés, dont une personne éborgnée. Quatre des blessés portent plainte auprès de la police des polices.

    Depuis, le collectif 8 juillet (https://collectif8juillet.wordpress.com) s’est créé pour préparer le procès qui aura lieu du 21 au 25 novembre 2016, soit sept ans plus tard, au Tribunal correctionnel de Bobigny. Fait rarissime, trois policiers seront dans le box des accusés. Pour comprendre les enjeux de cette affaire, Jef Klak revient sur le contexte qui a précédé les faits en demandant à cinq participant.e.s du collectif 8 juillet de raconter leur histoire commune et les perspectives de résistance à la police. En cinq actes.

    *

    1. Le contexte montreuillois : chasse aux sans-papiers, rencontres et assemblées (2002-2008)

    2. La Clinique, un lieu ouvert sur la ville (2009)

    3. L’expulsion de la Clinique et la charge policière (8 juillet 2009)

    4. La procédure au long cours et le collectif 8 juillet (2009-2016)

    5. Le procès contre la police (21-25 novembre 2016)

  • Extractivisme et résistance en terre bretonne | Zinzinement vôtre
    http://www.zinzine.domainepublic.net/?ref=2634

    Petit aperçu de la lutte contre l’extractivisme en Bretagne avec Laurent et Jean Sarrazin du mouvement informel « Douar Didoull ». Cette nécessité de l’extraction des matières premières pendant longtemps principalement cantonné dans les pays « en voie de développement » déborde aujourd’hui sur les territoires des pays industrialisés. Il faut se rendre à l’évidence, si nous voulons continuer à savourer les délices higt-tech de nos sociétés de croissance et de consommation infinie il faut creuser, creuser, perforer, pressurer, fracturer notre terre mère. Changer de logiciel sociétal semble la seule alternative à un suicide collectif programmé, mais rentable, des talibans du marché libre, leurs acolytes scientistes et post-humanistes adepte de la conscientisation des robots... Heureusement à la fin c’est nous (...)

    http://www.zinzine.domainepublic.net/emissions/ZVO/2016/ZVO20161101-ExtractivismEtResistanceTerreBretonne.mp3

  • « Le comptoir d’un café est le parlement du peuple »
    propos recueillis par Mathieu Léonard,
    paru dans CQFD n°148 (novembre 2016)
    http://cqfd-journal.org/Le-comptoir-d-un-cafe-est-le

    Jacques Yonnet (1915-1974) était un grand amateur des bistrots « pas factices » et de gigondas. Son chef-d’œuvre Rue des maléfices , paru sous le titre Enchantements sur Paris en 1954, plongeait le lecteur dans les bas-fonds d’une capitale sous tension durant l’Occupation. Le peuple secret du vieux Paname – clochards, piliers de bars, gitans et truands – constituait le cœur d’un récit merveilleux. Avec la réédition du meilleur cru des chroniques écrites par Yonnet dans L’Auvergnat de Paris de 1961 à 1974, les éditions L’échappée nous invitent à un guide gouleyant des troquets de Paris, aujourd’hui disparus, qui n’oublie rien de son histoire enfouie, de ses luttes sociales et de sa magie. Nous avons posé quelques questions à Jacques Baujard qui a édité l’ouvrage.

    #Jacques_Yonnet #Rue_des_maléfices #Auvergnat_de_Paris #Jacques_Baujard #Assassinat_de_Paris #Assassinat_des_villes

  • L’Empire du moindre mal
    par Emmanuel Sanséau
    paru dans CQFD n°148 (novembre 2016)
    http://cqfd-journal.org/L-Empire-du-moindre-mal

    « La présidentielle ? Pfffff... » Amber est au volant de son taxi. « Je crois que tout le monde est fatigué des Clinton. Bill était pas mal comme président mais Hillary a l’air de convoiter le pouvoir depuis des décennies. On dirait qu’elle est prête à tout pour se faire élire. Alors entre elle et Trump… C’est assez déprimant, vous savez. Dans un pays aussi grand que le nôtre, on s’attendait à avoir le choix. » D’après le magazine Bloomberg, à la mi-octobre, la machine électorale d’Hillary Clinton avait levé 911 millions de dollars (830 millions d’euros), soit plus du double de Donald Trump. Pour ses six derniers mois de campagne, la démocrate ne s’est déplacée que deux fois dans le Massachusetts. Et uniquement pour des levées de fonds. Après tout, abstention ou pas, on est en terrain conquis, ici.

    #Election_US #Fall_River #Massachusetts #Sanseau #election

    • L’État du Massachusetts compte parmi les plus prospères des États-Unis. D’après le Bureau des statistiques, pourtant, 23% des habitants de Fall River vivent sous le seuil officiel de pauvreté, soit près du double de la moyenne américaine. Le taux de chômage y oscillait entre 6 et 9% cette année. Le salaire médian y est deux fois inférieur à celui du Massachusetts. L’épidémie d’héroïne qui ravage le pays y a fait 44 morts l’année dernière.

      Chez le prêteur sur gages de Main Street, trois photographies du vieux Fall River. Les années 1930 et 1945. On peut y voir les rues débordant de passants, les routes emplies de voitures, les enseignes crépitantes des magasins. La ville comptait une centaine de filatures de coton à la fin du XIXe siècle. C’était alors l’un des principaux centres manufacturiers des États-Unis. « Les filatures ont commencé à déserter au sud après la crise de 29, dit Marc, un journaliste au canard local. Puis les années 1970 ont achevé son déclin. Les emplois partaient en Chine, au Mexique, au Bangladesh. L’Alena [accord de libre-échange nord-américain ratifié par Bill Clinton, ndlr] a été un désastre, surtout pour les ouvriers à bas salaires. » Fall River est tout de même restée fidèle aux démocrates. En 70 ans, pas un seul maire républicain n’y a été élu.

      La même hégémonie démocrate régente le Massachusetts. Pour ses autres villes ouvrières comme Lowell et Worcester, c’est là un choix malheureux. Façonné par la crise de 29 et l’appui des syndicats, le parti du New Deal s’est éloigné de son électorat ouvrier au tournant des années 1970, lui préférant la nouvelle classe moyenne de « l’économie du savoir. » À l’État-providence, les Nouveaux Démocrates ont substitué la gouvernance des « experts » et l’idéologie de la « méritocratie » qui prescrit davantage d’éducation pour tous les maux. C’était l’avènement du « ni de gauche ni de droite » et des sacrifices inévitables de « l’économie globalisée. » La mue néolibérale de Bill Clinton consista à tirer le coup d’envoi de la fuite des emplois non-qualifiés vers le Mexique (avec l’Alena), à durcir la répression pénale et à tailler dans l’assistance publique.

  • Rapport sur la destruction des villes par le tourisme
    Lisbonne tremble encore

    par Ferdinand Cazalis & Mickael Correia
    paru dans CQFD n°147 (octobre 2016)
    http://cqfd-journal.org/Lisbonne-tremble-encore

    Territoire reculé de la péninsule ibérique, auparavant à l’écart des affres du tourisme de masse, Lisbonne a désormais le vent en poupe. Charme suranné des ruelles pavées, façades décrépites et faible coût de la vie, le lifestyle lisboète attire un nombre croissant – 10% de plus en moyenne par an – de touristes. L’an dernier, le Portugal a encore battu son record, avec 19 millions de visiteurs, soit deux fois plus que le nombre d’habitants du pays. Selon la Banque du Portugal, les touristes étrangers auraient dépensé près de 12 milliards d’euros en 2015, et l’État portugais s’accroche avec avidité à cette bouée de sauvetage, dans un pays noyé par la crise économique depuis 2011.

    #Touristification #Lisbonne #Tourisme #Destruction_des_villes

  • La guerrière et la mort
    par Bruno Le Dantec
    paru dans CQFD n°147 (octobre 2016)
    http://cqfd-journal.org/La-guerriere-et-la-mort

    Ne pas avoir peur de dire « je ». Ne pas non plus en devenir prisonnier. En l’articulant clairement comme un jeu se jouant à plusieurs. Nous. Voilà l’une des leçons de ce petit livre. Combien il est aisé de s’oublier, de se perdre dans les boursouflures du moi, dans le triste nombril de l’aliénation moderne. « Là était ma vie, dans cette reconnaissance de ma mort. Je suis devenue guerrière. Je ne me débattais plus, je me battais. […] La menace précise, concrète, des flics m’avait permis de me ressaisir face à une menace diffuse, incompréhensible, en redonnant une dimension sociale à ma maladie. » Au-delà de son combat contre (puis avec) le cancer, Andréa nous parle de ça : du sens réel de la communication, du partage des plaisirs et de la révolte contre un monde devenu invivable – mais portant toujours en lui la possibilité d’autres mondes.

  • Guerre sociale à l’hôpital
    par Sébastien Navarro,
    paru dans CQFD n°147 (octobre 2016),
    http://cqfd-journal.org/Guerre-sociale-a-l-hopital

    C’est une cata. Une lente dégringolade. En 2014, le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse occupait la plus haute marche du classement des hôpitaux de France. L’année d’après, il se classait second pour échouer bon troisième en 2016. On gage que ce n’est pour cet effritement de façade que quatre soignants du CHU se sont suicidés en juin. Le mal, bien entendu, est plus profond. Afin de s’agrandir pour pouvoir absorber le flux de plus de deux cent mille patients à l’année, l’hôpital a emprunté auprès des marchés financiers à des taux de 3 à 5%. Résultat : l’ardoise affichait un solde débiteur de 15 millions d’euros en 2015. Une seule marge de manœuvre pour redresser les finances : continuer à tailler dans la masse salariale et restructurer les services.

    #Souffrance_au_travail #Suicide_au_travail #CHU_Toulouse

    • On avait trouvé stimulante cette réhabilitation du critère de l’utilité sociale, mais sa focalisation sur le sommet de la pyramide salariale nous posait problème, raison pour laquelle nous avons claqué notre enveloppe de frais de reportage pour aller rencontrer Graeber à Londres. Les réponses qu’il a apportées à nos questions n’ont pas franchement levé nos doutes, comme on l’explique dans l’introduction de notre bouquin. Ce qui nous a le plus scié, c’est l’explication qu’il nous a fournie sur sa méthodologie : pas d’enquête de terrain, pas de chiffres, pas de sources, seulement une compilation de données récupérées sur des blogs d’avocats d’affaires… Du coup, on a changé notre fusil d’épaule et laissé derrière nous les affres existentielles des cols blancs cholestérolés, choqués de découvrir que leur dévouement à l’économie capitaliste n’était pas aussi sexy que prévu. C’est un sujet qu’on laisse volontiers aux journalistes des grands médias, qui se sont tous pris de passion pour les thèses de Graeber, en raison peut-être de leur proximité sociale avec les cadres d’entreprise. En revanche, la souffrance ordinaire endurée par la majorité de la population active, dans les boîtes de sous-traitance comme dans les anciens fleurons du service public, dans les bureaux de poste comme dans les restaurants en passant par les guichets de Pôle emploi, cette souffrance-là n’intéresse pas grand monde. Ce désintérêt résulte en grande partie de la propagande quotidienne pour la « valeur travail » et le « plein emploi », du matraquage verbal et administratif infligé aux chômeurs soupçonnés de fraude et de désertion. Pour beaucoup de journalistes, il faut bien qu’il y en ait qui fassent le « sale boulot » de leur nettoyer leurs burlingues au petit matin. On a voulu remettre à leur place ces réalités sociales : 80 % du livre est consacré aux trimardeurs du bas, 20 % aux cols blancs. Loin de nous l’intention de minimiser le cafard des bureaucrates de l’économie capitaliste, mais on a choisi de ne pas oublier les conditions de travail autrement plus rudes de ceux que ces mêmes cols blancs réduisent à l’état de larbins.

    • Lm : Vers la fin du livre, vous interrogez des acteurs de la finance à qui vous essayez indirectement de faire admettre que leur boulot est « de merde ». Sauf qu’ils n’en démordent pas, non seulement ils trouvent leur activité particulièrement honorable mais ils expriment et revendiquent une véritable passion. C’est notamment le cas de François Chaulet qui vous explique, je cite : « Ma vie professionnelle me satisfait beaucoup parce que je fais un métier qui me passionne. Si vous me versiez plein d’argent sur un compte, de toute façon faudrait bien que je continue à le gérer, mais même en dehors de ça… j’adore ce métier ! Je paierais pour le faire. » ou encore : « [C’est]un métier intellectuellement riche. Ce qui fait le sel et la passion de mon métier, c’est de comprendre comment se constitue le miracle de l’économie capitaliste, qui est le compte de résultat ». Est-ce que l’on ne touche pas ici à une limite du concept de « boulot de merde » ? Pourquoi ne pas avoir choisi de distinguer « boulot de merde » de « boulot de connard » ?
      J.B.& O.C. : Bonne idée, on pourrait même mettre en place un nouvel éventail de catégories socio-professionnelles : boulot de sagouin, boulot de salop, boulot de sangsue, etcetera… Ça nous donnerait des débats d’experts d’une autre tenue que la question du distinguo entre gestionnaire de patrimoine et gestionnaire de portefeuilles ! Sérieusement, le fait que les raboteux de la finance se déclarent ravis de leur taf est assez logique et n’infirme en rien la merditude intrinsèque de leur gagne-millions. Ils s’éclatent parce qu’ils sont conditionnés pour ça, parce que la tâche qu’ils accomplissent les couvre de pognon et de reconnaissance sociale au sein du petit monde dans lequel ils évoluent. Mais quand ils nous racontent leur travail, on a du mal à partager leur enthousiasme : passer sa journée à noircir des assurances vie, s’injecter BFM Business en intraveineuse, se plier en quatre pour aider des rentiers déjà trop gras à amasser encore plus d’argent… Franchement, qui a envie de se taper un boulot pareil ?

      Certes, on aurait pu, en adoptant le point de vue graeberien, espérer que nos tâcherons de la finance se plaignent d’être noyés sous les mails, les chiffres et la bureaucratie, qu’ils avouent s’emmerder à mourir et que, pour oublier leur culpabilité, ils se défoncent à jouer à Candy Crush sur leur tablette et à télécharger des recettes de jus de concombre. Nous aurions été dans le ton de cette vision selon laquelle les cadres de l’économie capitaliste n’y croient plus et ont besoin de retrouver du sens à leur ouvrage. Mais non : il se trouve que ces gens-là sont heureux de leur bullshit job. Leur passion en toc est l’opposé symétrique de la souffrance infligée aux infirmières. Ils jouissent de ce qui gouverne le monde : la circulation du capital. Nous, on ausculte leur autojustification en les questionnant sur leur utilité sociale, en examinant la façon dont ils se persuadent qu’ils servent à quelque chose, au même titre que l’ortie ou le ténia servent à quelque chose. Après tout, les managers de transition n’expliquent-ils pas qu’en virant d’un seul coup plusieurs centaines d’ouvriers, ils permettent de sauver une entreprise et donc des emplois futurs ?

      L’une des caractéristiques des boulots socialement destructeurs, c’est qu’ils fournissent à ceux qui les exercent une extraordinaire variété d’arguments pour les rendre acceptables ou même attrayants à leurs propres yeux. C’est vrai pour le CRS comme pour le banquier. Dans notre chapitre sur les vigiles chargés de chasser les migrants dans le port de Dunkerque, les salariés se plaignent moins de leur travail lui-même, qui est pourtant atroce, que des conditions de grande précarité dans lesquelles ils l’exercent. Certains même tirent jouissance du petit pouvoir que cela leur confère. Notre point de vue, c’est qu’il faut prendre le temps de montrer l’extrême violence sociale d’un système économique qui pousse ses recrues à s’accommoder du plus sale des boulots : empoigner des exilés qui ne leur ont fait aucun mal, les traîner, les savater, les remettre aux flics. La différence du chasseur de migrants, par rapport au conseiller en optimisation fiscale, c’est que le premier sévit tout en bas de l’échelle sociale et s’est dégoté son job abject sur prescription de Pôle emploi, alors que le second pète dans la soie et a fait des études qui lui permettent de choisir son métier en connaissance de cause. Entre ces deux formes d’aliénation, il y a un continuum qui nous paraissait utile à explorer.
      La notion de boulot de merde n’est pas un carton rouge que l’on brandirait vers tel ou tel métier jugé peu enviable ou moralement répréhensible. C’est une clé d’accès pour appréhender un monde du travail où les boulots les plus indispensables à la société sont devenus invivables – plus de trois cents suicides d’agriculteurs en 2016 –, où le larbinat s’institutionnalise à la faveur de la mutation du monde en casino pour la bourgeoisie triomphante, où le chômage de masse permet de justifier la prolifération de petits jobs rompus à des salaires de misère et à des horaires délirants, où les trimardeurs monnaient leur force de travail de gré à gré avec le patron pendant que des argentiers chargés d’accumuler les lingotins sur des lignes Excel se proclament heureux et émancipés, se payant même le luxe d’avoir des scrupules – oui, l’argent permet d’acheter ce genre de choses.

    • Les bonnes pages de ce livre sont en exclusivité dans le CQFD de ce mois-ci. (y’en aurait-il des mauvaises ?)
      Je ne l’ai pas encore lu. Abonné vous à ce canard, si ce n’est déjà fait et que ça ne vous empêche pas d’acheter ce bouquin.
      CQFD/Cyran c’est de l’auto-promo ou du copinage éhonté comme dans la première colonne du mensuel marseillais. Mais ils ont tellement de talent et de choses à dire que vous ne relèverez pas cette remarque.
      Sincèrement je ne connais aucun autre journal aussi singulier.
      Charlie-hebdo ? #Olivier_Cyran a donné son avis et en connaissance de cause puisqu’il y a travaillé bien avant l’attentat de janvier 2015. Je ne lis plus cet hebdo depuis que je suis abonné à CQFD mais je guette quand même les dessins de #Vuillemin.

    • http://cqfd-journal.org/Emplois-poubelle-pour-prospectus

      L’extrait que nous vous présentons ici, en exclusivité, est tiré du livre de Julien Brygo et Olivier Cyran, Boulots de merde ! Du cireur au trader, enquête sur l’utilité et la nuisance sociales des métiers (Éditions La Découverte). Disponible, depuis peu, dans toutes les bonnes librairies.

      Les dépliants criards qui inondent votre boîte aux lettres pour vous fourguer des mezzanines en kit ou vous inviter à la semaine du cassoulet de Super U ne tombent pas du ciel : ils vous sont délivrés par des dizaines de milliers de paires de jambes qui sillonnent quartiers, résidences pavillonnaires et zones rurales pour une poignée de piécettes, le plus souvent sans qu’on les remarque. Un « capital humain » qui fait la « force » et la « fierté » d’Adrexo, lit-on sur son site Internet. [...]

    • @marielle un de plus a ajouter à mon palmarès. Ce n’était pas pour #adrexo (heureusement) mais pour la mairie de mon bled
      Je me suis retrouver dans la #mouise l’hiver dernier et j’ai tapé à la porte du CCAS. Et me voilà parti avec mon p’tit cadie, sillonné la moitié de la commune constituée essentiellement de #zones_pavillonnaires. L’autre moitié, un autre gueux s’en chargeait. Si distribuer le bulletin municipal est un peu plus gratifiant que de distribuer les prospectus de merde de l’autre dealer. Pour le peu de retour et de rencontre que j’ai eu, la plupart des habitants en ont rien à cirer. L’édito du maire, qui siège aussi à #Rennes-métropole, approuve et signe tout ce qui dégouline (forcément) de la capitale bretonne.
      Enfin les 200€ de plus à mon minima social mon permis de faire duré ma cuite un peu plus longtemps. Car, comme lu dans #CQFD, le RSA c’est bien mais c’est vite bu.


      http://www.article11.info/?L-ego-dans-son-enclos#a_titre