Le premier procès aux assises pour un complot terroriste d’ultradroite et néonazi vient de se tenir. Ce genre de procès est-il appelé à se multiplier ? Combien d’individus potentiellement violents compte cette mouvance ?
La banalisation du recours à la violence et la tentation de vouloir imposer ses idées par la crainte ou l’intimidation font courir un grave danger à nos démocraties, dont les deux fondements cardinaux sont la liberté d’expression et le respect des opinions d’autrui, ainsi que le recours au suffrage universel, qui, seul, peut conférer la légitimité à nos gouvernants.
La mouvance d’ultradroite, forte d’environ deux mille personnes, est l’une de celles qui fragilisent ces piliers fondamentaux. Le risque terroriste qu’elle engendre est allé croissant ces dernières années au sein des démocraties occidentales, en France en particulier. A ce titre, 2015 a constitué un tournant, avec la survenance d’attentats terroristes sans précédent sur le sol européen et l’exposition de notre continent à d’importants flux migratoires. Une partie de l’extrême droite s’est alors radicalisée et a basculé dans la conviction que, pour protéger l’Europe du risque terroriste et de ce qu’elle désigne comme le « grand remplacement », face à l’« incurie », évidemment présumée, de l’Etat, il était nécessaire de se substituer à lui, de précipiter l’affrontement, pour avoir une chance de l’emporter « tant qu’il était encore temps ». L’enfermement algorithmique généré par les réseaux sociaux, l’influence d’idéologies radicales venues d’outre-Atlantique ont contribué à structurer durablement cette croyance.
Par ailleurs, les périodes de troubles qu’ont traversées nos démocraties, notamment la crise sanitaire, ont été propices à la recherche d’explications simples aux désordres du monde. Des profils d’un genre nouveau, complotistes ou conspirationnistes, sont ainsi venus s’agréger à des groupuscules d’ultradroite. S’ils ne partagent pas nécessairement l’intégralité de cette idéologie, ils se retrouvent dans la désignation de boucs émissaires communs.
Quel est l’état réel de la menace terroriste d’ultradroite ?
En France, dix actions terroristes, d’inspiration néonazie, accélérationniste [qui consiste à accélérer la survenue d’une guerre raciale avant qu’il ne soit trop tard pour l’emporter], raciste ou complotiste, ont été déjouées depuis 2017, avec des cibles aussi variées que des citoyens de confession musulmane ou juive, des élus ou des francs-maçons. Concrètement, cette menace peut émaner d’individus solitaires qui nourrissent une haine absolue contre ceux qu’ils tiennent pour responsables de leurs difficultés et de celles du monde. Au sein de la mouvance accélérationniste, les auteurs des tueries de Buffalo, d’Oslo ou encore de Christchurch [tueries de masse commises par des terroristes d’ultradroite respectivement en 2022, 2011 et 2019 au nom de la haine des Noirs, des étrangers, des musulmans, des juifs ou de la social-démocratie] sont littéralement idolâtrés. Le fait de passer à l’acte devient alors la garantie de devenir un « saint ».
Le risque peut aussi provenir de l’action de petites cellules constituées en marge d’associations ou de groupes préexistants, qui considèrent que le discours qui y est tenu n’est pas assez radical. C’est parce que la menace naît au sein de groupes structurés que le ministre de l’intérieur, à chaque fois qu’il en a la possibilité juridique, en propose la dissolution.
Il y a un phénomène inquiétant : la présence parmi l’ultradroite de membres ou d’anciens membres des forces de l’ordre, de militaires…
Les groupes au sein desquels ce genre de profils constitue la majorité sont très rares. Mais il est vrai que les discours de cette mouvance, l’attirance pour les armes à feu également, trouvent un écho particulier chez certains de ces personnels. Sans exagérer le phénomène, ce sont des sujets que nous suivons en effet d’extrêmement près, en lien étroit avec le ministère des armées. A chaque fois que cela se révèle nécessaire, nous proposons des mesures d’entrave, notamment disciplinaires.
Observe-t-on une porosité entre l’extrême droite et l’ultradroite ?
La DGSI n’a pas vocation à suivre la vie politique ou celle des partis. Toutefois, il est clair que la vie politique de notre pays peut avoir une influence sur la propension de certains à passer à l’acte. La période électorale de 2022, bien qu’elle ait été marquée par des débats faisant écho aux préoccupations traditionnelles de l’extrême droite, notamment sur les sujets migratoires, a plutôt eu tendance à canaliser les énergies.
Les choses ont changé depuis six à huit mois sous l’effet de différents facteurs, dont la radicalité de certains discours politiques extrêmes, mais aussi la conviction de certains militants que seule l’action violente est susceptible de déboucher sur des résultats. La manière dont la gauche s’est saisie au printemps de la contestation de la réforme des retraites a également conduit une partie de la mouvance d’ultradroite à se mobiliser à son tour pour ne pas « laisser la rue » à la force politique opposée. Depuis le printemps, nous assistons ainsi à une résurgence très préoccupante des actions violentes ou des intimidations de la part de l’ultradroite, dont une partie s’inscrit en rupture assumée avec le cadre démocratique. Les élus, et singulièrement les maires, y sont particulièrement exposés, de manière intolérable. Les menaces abjectes à leur égard, à Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), à Callac (Côtes-d’Armor) ou au travers de courriers anonymes d’une rare violence, en sont l’illustration. Les menaces formulées à l’égard des membres de la « communauté LGBT » ou des « étrangers » sont tout aussi insupportables.